• Français
  • English

Humanitarian Design Bureau

La Troisième Voie

Le rôle du design dans le secteur humanitaire

L'article qui suit a été écrit pour la Table Ronde organisée par Humanitarian Design Bureau le 31 mai 2012 au Parc de la Villette à Paris, pendant l’exposition “La Troisième Voie”, dans le cadre des Designer’s Days.

Table ronde à la Villette

Envisager le design humanitaire pour sujet revient à soulever une question. Ce qui pourrait se lire comme proposition est avant tout une problématique. S’interroger ici sur la dimension apparemment contradictoire que traduit l’association des termes ‘humanitaire’ et ‘design’. Souligner que les caractéristiques de l’un et de l’autre rassemblent plus d’éléments susceptibles de devenir communs que fondamentalement divergents. Cette rencontre se propose de substituer à la réaction première d’incompréhension ou de doute face à l’association du design et de l’action l’humanitaire, celle qui au contraire s’insurge contre l’inexistence de leur collaboration organisée. Celle qui appelle à l’urgence de son établissement. Design humanitaire : il y a sans doute une facilité à assembler les deux terrains d’une façon aussi concise. Qui doit être l’adjectif de l’autre, lorsque chacun doit plus évidemment demeurer un substantif ? Il s’agirait précisément d’aborder la mise en oeuvre d’un processus de design à destination de l’humanitaire, sous la forme d’une action conjointe. Leur contradiction semble élémentaire, alors que c’est leur association qui doit le devenir. A l’humanitaire sont liées des dimensions de souffrance et d’intervention généreuse quand le design répondrait à des préoccupations d’ordre mondain, des raffinements éthérés au service d’intérêts industriels et commerciaux. Ces conceptions sont banales. Elles relèvent de la caricature et sont d’autant plus critiquables qu’elles paraissent invoquer le bon sens, la simple constatation d’un état des lieux. Elles constituent un raccourci qui oublie, de part et d’autre, un ensemble de variables, à caractère souvent équivoque, toujours complexe, mais dont les convergences peuvent être identifiées. Le design et l’humanitaire se rassemblent autour de l’humain et du service qui lui est destiné. Ils partagent une préoccupation première d’efficacité. L’un et l’autre doivent associer des champs disciplinaires multiples ou la raison et les sens, la logistique et la morale, l’empathie et les stratégies seront présents. Ils doivent constamment affronter des injonctions difficiles à concilier, en tentant d’équilibrer justement leurs exigences en regard d’une obligation de résultat qui tolère peu de nuances puisque l’intégrité de l’humain y est engagée.

Table ronde à la Villette

En convoquant, par l’intitulé de cette table ronde, la Troisième voie - projetée par Viktor Papanek au début des années 70, nous comprenons que cette perspective d’action conjointe n’est pas nouvelle. Son actualité n’a simplement jamais cessé d’être. En dépit de la validité des arguments avancés et de l’évidence des possibilités de sa construction il y a plus de quarante ans, elle n’a encore trouvé que des illustrations ponctuelles. Ces lieux et ces projets continuent à relever de l’exception. Chacun connaît les quelques exemples récents qui en rendent compte. Ils rassurent, aussi bien qu’ils renforcent paradoxalement dans cette conviction qu’il ne peut s’agir que de manifestations extraordinaires, nécessairement limitées, résultats de rencontres et de situations insusceptibles de se reproduire. Les propositions critiques de Papanek ont échoué à fonder une pratique professionnelle.

Il est frappant de constater que toutes les dérives d’une pratique du design répondant de manière privilégiée à des intérêts marchands et aux satisfactions d’égo, au détriment des responsabilités qui devraient fonder la discipline, étaient déjà clairement identifiables dès la fin des années 60. Il est tout aussi embarrassant de voir que les acteurs de l’humanitaire n’ont pas plus pris en compte les possibilités d’une action commune impliquant le design et servant supérieurement ses intérêts. La cécité supposée du designer confronté aux véritables urgences et aux besoins authentiques rencontre un symétrique déni de la part des acteurs humanitaires quant à la réalité des conditions de leur travail, de ses variables logistiques, des données économiques et techniques qui la gouvernent. Prononcer le mot ‘industriel’ dans un contexte humanitaire est encore une provocation, tandis que les outils qu’il emploie y sont intimement liés. Soulever la dimension d’une portée vitale de l’intervention du designer laisserait soupçonner un idéalisme teinté de démagogie.

L’analyse de Viktor Papanek, préoccupée d’un autre design, était contemporaine des premières interventions humanitaires internationales témoignant d’un changement de rapport au monde, envisageant la perspective du temps et de l’espace d’une manière nouvelle, posant nos responsabilités de façon inédite. Les réflexions et propositions réunies devaient conduire à la constitution d’une pratique du design où la dimension humaniste trouvait une place centrale. Une démarche à l’opposé de l’abdication des promoteurs du design vis-à-vis à de préoccupations d’usage et d’identité des destinataires. Une attitude qui tienne compte des multiples implications de l’action du designer, tant au regard des ressources employées que de la durée de vie de ses productions.

Le design n’est pas un objet mais un mode de réflexion et d’action animé d’une responsabilité : il doit aujourd’hui partager une méthodologie opératoire et une aptitude à conjuguer un spectre complexe de variables, d’ordre technique et sensible, au profit exclusif de l’humain. La perspective de son efficacité implique de considérer le champ d’action humanitaire comme spécifique et suppose un travail mené conjointement avec tous ses acteurs.